Comment préparer un voyage en Afghanistan ?
C'est probablement encore plus difficile aujourd'hui, mais voici comment j'ai fait en 2018.
Où trouver les bonnes informations ?
Je ne suis pas du genre à planifier tous les détails de mon voyage avant de partir, mais pour ce genre de trip, il y a un minimum de vérification à faire en amont. L'Afghanistan n'est pas vraiment le genre d'endroit où tu peux te pointer avec ton sac à dos et espérer que tout se passe bien.
J'avais déjà voyagé en Inde, en Iran et au Pakistan, et j'y avais rencontré pas mal d'Afghans, ce qui m'a sûrement aidé à me faire une idée d'où j'allais. J'imaginais le pays entier un peu comme Peshawar, et j'appréciais beaucoup cette ville du Pakistan, à la frontière afghane. Voici une vidéo du marché des conteurs de Peshawar prise en 2011 sur mon vélo :
Les "destinations touristiques" les plus connus en Afghanistan sont Kaboul, le corridor du Wakhan ou Bamyan. La plupart des étrangers qui se rendent en Afghanistan sont, ou étaient, des journalistes ou des employés d'ONG. Il y a très peu de touristes mais j'ai pu trouver quelques photos sur Instagram, des blogs ou des forums. Pour la plupart c'était de courtes visites ou des tours organisés, souvent pour ajouter un autre pays à leur liste de trophées de voyage, ou pouvoir dire "j'y étais". Il y avait aussi les voyageurs au long cours, ceux avec un projet, et un intérêt authentique, mais ces récits étaient de plus en plus rares après 2007.
2007 est aussi l'année de publication du premier et dernier Lonely Planet sur l'Afghanistan. Après 2007, la situation s'est détériorée dans le pays rendant les voyages de plus en plus incertains. Le livre était vraiment utile, comme beaucoup de Lonely Planet de cette époque, couvrant le pays entier avec de bon conseils et des recommandations bon-marché. Dans la partie sur Balkh ils mentionnent même l'histoire de Baba Kou. Dans "Afghanistan, Fortress of Cannabis" vous pourrez lire et écouter l'interview du malang tenant le mausolée. Mais on ne peut pas se fier à un Lonely Planet de 2007 pour voyager en 2018, (ni à Ibn Battuta et encore moins à Marco Polo).
Donc j'ai cherché sur internet des informations sur Mazar-e Sharif : où loger, où aller, etc. J'ai trouvé des forums avec des conseils utiles et assez récents, puis il y avait aussi de bonnes infos sur wikitravel . Mon point d'inquiétude principal était d'être refusé dans les hôtels. J'ai vécu cette situation plusieurs fois au Pakistan où les gérants d'hôtels n'étaient pas autorisés à donner une chambre à un étranger pour des raisons de sécurité. Les étrangers devaient aller dans des hôtels plus coûteux et plus protégés. A Mazar, j'ai compris que les étrangers restaient au Barat Hotel, mais j'espérais que le bien moins cher Aamo Hotel m'accepterait.
J'ai ensuite essayé de trouver des sites en Anglais donnant des informations sur ce qu'il se passe dans le pays. J'ai l'habitude de suivre Al Jazeera, mais je voulais trouver plus d'informations sur la vie quotidienne, en Anglais. Je me suis mis à suivre quelques personnes sur les réseaux sociaux, et j'ai aussi trouvé de bonnes informations sur Tolo News. C'est un site en Anglais donnant des informations diverses sur la politique, l'économie, le sport, les informations locales, etc. Je comprenais aussi qu'il y avait plusieurs dizaines de journaux et magazines publiés en Afghanistan, donc j’espérais trouver, peut-être, une publication anglaise une fois sur place.
Quelles informations ai-je trouvé ?
Trouver un endroit où dormir à Mazar-e Sharif semblait possible, s'y rendre aussi. Mais rien sur la possibilité de se déplacer d'une ville à l'autre.
D'après ce que je pouvais lire, il n'y avait pas de risques particulier à Mazar-e Sharif ou Balkh. C'était beaucoup plus tendu à Kaboul avec des attentats fréquents, au moins une fois par semaine. Il y avait aussi Kunduz qui semblait être une ville assez dangereuse. J'ai rencontré beaucoup d'Afghans au Pakistan venant de Kunduz, déplacés par la guerre et l'insécurité.
Au cours des années précédentes, l' explosion du consulat allemand en 2016 fut l'évenement majeur qui secoua Mazar-e Sharif, indiquant que les Taliban étaient de plus en plus actifs dans le nord du pays. C'est probablement pourquoi l'équipe de l'ambassade afghane à Paris m'a dit "L'Afghanistan c'est pas la France, Mazar-e Sharif est maintenant plus dangereux que Kandahar. Si tu as le visa, tu restes dans l'hôtel, ne sors pas !" J'ai obtenu mon visa pour 1 mois quand-même, tout en me précisant bien que je ne pourrais pas l'étendre plus longtemps une fois sur place.
Lire les informations sur ToloNews ne me rassurait pas d'avantage. Une histoire en particulier m'a poussé à me demander où je mettais les pieds. C'était l'histoire d'un grand-père dont le fils et la belle-fille étaient décédés, alors qu'ils étaient la seule source de revenu de la famille. Les grands-parents se sont retrouvés seuls pour s'occuper de leur trois petites-filles. Après quelques mois ils ont décidé de vendre une de leur petites-filles pour pouvoir s'occuper des deux autres. Comme si l'histoire n'était déjà pas assez tragique, le grand-père est allé au marché, a vendu la petite-fille, puis il s'est fait volé l'argent en rentrant chez lui. C'était en 2018, aujourd'hui, il y a probablement plus d'enfants (les filles) vendues pour être mariées (ou on entend plus parler), mais ça se passait déjà avant que les Taliban prennent le pouvoir.
J'ai aussi appris que j'avais prévu d'arriver en pleine élection parlementaires, donc j'ai pris soin d'arriver à Mazar juste après.
Quel était mon état d'esprit ?
C'était vraiment un saut dans l'inconnu, mais je savais que je n'étais pas le premier à le faire. Si j'étais à peu près certains de trouver du hasch facilement, j'étais un peu moins rassuré concernant mes autres nécessités, telle que trouver un endroit où dormir, peut-être une carte sim, et le plus important, changer ou retirer de l'argent.
Une fois "installé", il fallait que je me fasse une idée de la sécurité sur place. Je me demandais si j'allais voir un peu trop d'armes et si j'allais me sentir en sécurité, comment les gens réagiraient à ma présence... Je me demandais aussi ce que j'allais bien pouvoir y faire et si je pouvais me déplacer dans la ville, la province, le pays ; et si non, pouvais-je rester à Mazar ?
Réaliser que très peu d'occidentaux étaient allés en Afghanistan récemment et que le voyage était plein d'incertitudes, c'est aussi ce qui fait le charme du voyage et le rend encore plus intéressant. Si je me souviens bien, dans mes rêves les plus optimistes, je pensais que peut-être je serai capable de bouger un peu, essayer de trouver des fabricants de hasch, ou une famille avec qui passer la saison de la récolte. Je savais bien que la probabilité que ce rêve se réalise était proche de zéro, mais j'étais déterminé à voir autant que possible de la culture du cannabis afghane.
J'avais aussi l'impression que "si je ne le fais pas maintenant, je ne le ferai jamais", et que les conditions pour une visite sûre ne seraient probablement pas réunies de mon vivant, ou que la situation pouvais même dégénérer. Cette dernière s'est avérée tristement vraie. Il y avait aussi ces lignes d'une chanson de Lou Reed qui résonnaient dans mes oreilles depuis longtemps. "Maybe I should go and live in Amsterdam” – “Maybe it’s time to see tangiers” – “A different life-style, some different fears” – “Or maybe I should get a farm in southern France” – “Shit, maybe I could go to Yucatan” – “So maybe I should go to Tanganyika” – “Or go to India to study chants and lose romance to a mantra’s dance” – “Maybe I should move to Rotterdam maybe move to Amsterdam I should move to Ireland, Italy, Spain Afghanistan where there is no rain…“
J'aurais bien aimé imprimer cette dernière ligne dans l'introduction de mon livre. Malheureusement, les agents de Lou Reed ne m'ont jamais répondu !
A suivre : Le premier jour à Mazar.